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Beyond, un autre drame suédois

23 Nov
Svinalängorna ("Beyond") de Pernilla August

Svinalängorna (“Beyond”) de Pernilla August

Un an après sa sortie en Suède sous le nom original de “Svinalängorna” (le nom d’un quartier pavillonnaire à Ystad en Suède), Beyond, le premier long-métrage de Pernilla August a été présenté en avant-première au cinéma Vendôme à Bruxelles ce mardi 22 novembre.

Je me rappelle encore de l’affiche du film dans les métros de Stockholm. Le doux visage pensif de Noomi Rapace enfouit dans les draps annonçait une sorte de drame moderne, familial, à la fois tragique et horriblement commun, peut-être ennuyeux. Je ne m’étais pas trompée.

Pourtant Beyond a reçu de nombreuses récompenses : il a remporté deux prix à la Semaine de la critique de Venise, il a obtenu le prix de la meilleure réalisation aux Guldbagge, les Oscars suédois, il vient de recevoir le prix du Conseil Nordique et il représente la Suède pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Le film a tout pour convaincre. Le premier rôle (Leena) revient à la nouvelle star hollywoodienne Noomi Rapace qui joue aux côtés de son vrai mari (pour le scoop, ils ont divorcé peu après le film). Le casting est particulièrement remarquable pour les seconds rôles avec la jeune actrice Tehilla Blad dans le rôle de Leena petite, Outi Mäenpää et Ville Vitanen, dans le rôle des parents de Leena.

La réalisatrice Pernilla August fait ses premiers pas dans le cinéma avec le  film Fanny et Alexandre du non moins célèbre cinéaste Ingmar Bergman. Longtemps actrice, elle a voulu passer de l’autre côté de la caméra. Son premier film Beyond est basé sur le roman autobiographique à succès de Susana Alakoski, auteure d’origine finlandaise. C’est là certainement un autre élément qui joue en la faveur du film.

La presse suédoise a salué le travail de la réalisatrice pour sa profondeur, son intensité émotionnelle,  sa capacité à montrer des sentiments complexes, à mêler chaleur et noirceur. Mais au final Beyond m’a paru long alors qu’il ne dure que 99 minutes. Noomi Rapace joue sur le même registre durant tout le film : le visage fermé, tendu, son regard renvoyant la peur d’affronter les souvenirs d’une enfance douloureuse.

Si l’intérêt du film est avant tout de montrer les sentiments de Leena, comment elle apprend à digérer les souvenirs qui resurgissent brutalement, ce qui m’a le plus interpellée, c’est l’histoire de cette famille finlandaise qui immigre en Suède dans les années 70, certainement pour y trouver un avenir plus prospère. L’Etat suédois bienveillant leur loue un appartement tout confort, moderne et standardisé, comme les millions d’autres appartements construits à cette époque pour la classe moyenne (“miljonprogrammet”, voir l’article sur le standard égalitaire à la suédoise). La famille de Leena vit à côté de Suédois, tout le monde est au même niveau. Mais pourtant le sentiment d’exclusion est palpable. Parce qu’ils ont l’accent finlandais, parce qu’ils ont peut-être un style plus “prolo”. Parce que Leena n’a pas un vrai maillot de bain comme tout le monde, mais un tricot de peau trouvé dans une friperie.

Dans le quotidien suédois Dagens Nyheter, la journaliste évoque la thématique essentielle du “petit frère finlandais et du grand frère suédois”  inhérente au récit originel de Susana Alakoski. Rappelons que la Finlande a été dominée par la Suède pendant près de 700 ans avant de l’être par la Russie.

C’est le récit d’un rêve de modernité, du triomphe de l’urbanisation architecturale sur la pauvreté, la misère et la saleté de l’ancien monde. La classe ouvrière n’avait plus rien à revendiquer, une fois quelle avait obtenu une cuisine moderne, un salon avec parquet, un balcon et une salle de bain. Le rêve du “Folkhemet”, le foyer du peuple, accessible pour tous se divisait finalement entre ceux qui arrivaient à être à la hauteur de l’idéal humain, soigneux, assidu, qui va de l’avant et ceux qui échouaient tout de même en dehors de la société, comme la famille de Leena.

Finalement, à quoi tient le drame familial raconté dans Beyond ?  A l’alcool qui engendre la violence, la misère et détruit littéralement une famille. En Finlande il est la première cause de mortalité parmi les 15-64 ans en 2007.

Beyond, est un drame familial assez banal, filmé de façon peu originale, dans lequel on peine à ressentir de l’empathie pour les personnages.

“Black Power Mixtape 1967-1975”, un documentaire suédois sur la lutte des Noirs aux Etats-Unis

9 Apr

 

The Black Power Mixtape 1967-1975

The Black Power Mixtape 1967-1975

The Black Power Mixtape 1967-1975 est un documentaire réalisé à partir d’images inédites retrouvées dans les archives de la télévision suédoise. On y voit entre autres Martin Luther King et Harry Belafonte. L’avant première du film s’est déroulée en Suède le 1er avril. Il sera prochainement dans les salles en France. Voici une chronique du film en exclusivité.

Le documentaire retrace une des époques les plus turbulentes de la lutte pour la liberté et l’égalité des Noirs aux Etats-Unis. Martin Luther King initie un mouvement pacifique dans les années 60 qui aboutit au droit de vote pour les Noirs en 1965. Mais la génération suivante est plus impatiente et moins indulgente face aux inégalités sociales qui persistent. Suite à la mort de Malcolm X, la lutte se radicalise avec des idées indépendantistes. Le Black Panther Party arbore un idéal révolutionnaire et prône le droit de se défendre face à la violence du racisme. La violence contre la violence.

Mais qu’apporte le documentaire de plus au sujet qui a déjà fait l’objet de nombreuses productions littéraires et cinématographiques ?

"L'ère du Black Power devient un film en Suède", article paru dans Svenska Dagbladet, 2/04/11

"L'ère du Black Power devient un film en Suède", article paru dans Svenska Dagbladet, 2/04/11

Des images tirées de l’oubli

Le film a été réalisé exclusivement à partir d’images d’époque, des images en 16mm qui ont traversé les décennies sans jamais avoir été diffusées. Le réalisateur et journaliste Göran Hugo Olsson raconte au quotidien Sydsvenskan comment il tombe par hasard sur ces images dans les archives de la télévision suédoise SVT alors qu’il cherchait des clips pour un autre film consacré au chanteur soul Billy Paul. A la place, il découvre des reportages et des interviews tournées par de jeunes journalistes suédois entre 1967 et 1975.  “Ce sont des images qui n’existent pas du tout aux Etats-Unis” explique Göran Hugo Olsson au quotidien suédois Svenska Dagbladet.

Le film met en perspective les images d’époque avec des commentaires en voix off de personnalités du monde afro-américain comme Erykah Badu et Talib Kweli. C’est d’autant plus passionnant quand la célèbre militante Angela Davis commente ses propres images filmées il y a plus d’une quarantaine d’années. Elle avoue d’ailleurs avoir oublié cette interview donnée à un journaliste suédois…

Et c’est pourtant cette interview qui devient la scène clef du film. Angela Davis est en procès, se trouve en prison et fait la grève de la faim. La tension est palpable. Le jeune journaliste suédois lui demande ce qu’elle pense de l’utilisation de la violence dans la lutte du Black Power. Elle semble indignée par la question posée avec tant de naïveté. Et pour cause. Elle raconte comment elle a été témoin de la violence quand des bombes déposées par des blancs ont explosé dans son quartier de l’Alabama et ont déchiqueté les corps de ses amies. Et termine par ceci :

(Ndlr : “C’est pour ça que lorsqu’on me demande comment je perçois l’utilisation de la violence, je me dis que cette personne doit ignorer totalement ce que les Noirs ont enduré dans ce pays, depuis que le premier Noir a été kidnappé des côtes d’Afrique pour être emmené ici”.)

Un regard naïf

Entre 1967 et 1975 des jeunes journalistes suédois ont traversé l’Atlantique pour rencontrer des activistes du Black Panther Party et ont filmé le quotidien de Noirs afro-américains dans les quartiers d’Harlem. Ce qui frappe lorsqu’on regarde le film, c’est la fraîcheur et la naïveté avec lesquelles le sujet est abordé. Selon Göran Hugo Olsson, cette disposition naïve des journalistes suédois a poussé les interviewés à s’efforcer pour mieux décrire leurs sentiments et leurs motivations, comme dans la séquence d’Angela Davis par exemple.

L’enthousiasme et la curiosité des journalistes suédois sont perceptibles et les interviews prennent parfois des tournures inattendues. Lors d’une scène qui se déroule dans le petit appartement de la mère de Stokely Carmichael, un des leaders du Black Panther Party, le journaliste cède son micro à l’activiste pour qu’il fasse lui-même l’interview de sa mère. La scène est touchante, car le fils sait très bien de quoi il parle quand il pose des questions à sa mère sur le quotidien des Noirs à Harlem.

L’intérêt des suédois pour le Black Power

La Suède très socialiste des années 60 et 70 s’intéressait beaucoup aux mouvements de lutte des droits civiques aux Etats-Unis. Peut-être voyait-elle en elle un écho aux progrès sociaux qu’elle était en train d’accomplir. Comme le rappelle Göran Hugo Olsson dans le quotidien Svenska Dagbladet, le Black Power a été un modèle pour d’autres libérations, celles des femmes et des homosexuels. Le documentaire révèle que le gouvernement américain appréciait peu les journalistes suédois de l’époque. Une étude démontrait alors que la Suède était le pays qui véhiculait la plus mauvaise image des Etats-Unis dans les médias européens. Les relations diplomatiques entre la Suède et les Etats-Unis ont été rompues pendant un temps. Ce qui n’a pas empêché le roi suédois Gustav VI Adolf de recevoir Martin Luther King et au leader du Black Panther Party, Stokely Carmichael, de devenir un ami proche du premier ministre suédois assassiné Olof Palme.

Le film aux Etats-Unis

The Black Power Mixtape devrait être diffusé dans une quinzaine de villes aux Etats-Unis à partir de septembre 2011. Le film a déjà attiré l’attention du public américain lors de sa projection le 21 janvier au Sundance Film Festival. Il a même été montré au MoMA de New-York le 26 mars.