Ikea et H&M sont deux beaux exemples suédois de standardisation. Pratiques, pas cher et stylisés, les produits qu’ils proposent sont à la portée d’un large public tout en conservant une certaine qualité, ou plutôt, un certain standard.
Si la société suédoise est aujourd’hui en pleine mutation culturelle, elle semble encore marquée par une certaine standardisation qui trouve ses origines dans la politique de la social-démocratie. Partant du principe d’égalité, tout le monde doit pouvoir bénéficier d’un niveau de vie correct… standard. L’Etat suédois, fort et protecteur (dans les années 50 à 70), a veillé à faire régner ce principe, au point que certain ont qualifié la Suède de dictature égalitaire.
Un logement pour tous
L’exposition Möblerade rum (“chambre meublée”), au Nordiska Museet à Stockholm (“le musée nordique”) raconte l’évolution du logement en Suède sur un siècle. “Boring”, me direz vous. C’est certainement ce qu’a pensé le couple de touristes américains qui a traversé la salle en ligne droite, tout en lançant nonchalamment, “It all looks like IKEA anyway”. Justement.
Un des exemples qui illustre le phénomène de standardisation est la politique du logement instaurée par l’Etat entre les années 30 et 70. Il s’agissait de remplacer les vieux appartements, petits, sombres et insalubres par des logements spacieux et fonctionnels. L’Etat s’était donné la priorité de financer la construction en masse de logements pour fournir à tous un standard décent d’habitation.
Petite anecdote personnelle
Pour moi cette exposition a confirmé beaucoup de mes impressions que j’avais, lorsque petite, je passais mes vacances d’été chez morfar (grand-père maternel) à Stockholm. Son appartement situé dans un immeuble des années 70 était mon premier terrain d’observation de la culture suédoise.
J’ai toujours fait attention à des détails un peu idiots, comme la poignée de porte, la serrure, les ustensiles de cuisine, le porte manteau (oui, je sais ça parait complètements débile). Des petits détails que je rattachais à la Suède parce que je ne les voyais jamais ailleurs. Lorsque je suis rentrée pour la première fois dans l’appartement que je loue actuellement, j’ai reconnu les même éléments : même porte, serrure et poignée, les mêmes boutons dans l’ascenseur, le même porte-manteau à l’entrée… C’est pas possible, soit je suis monomaniaque, soit il y a quelque chose, ça vient de quelque part. Maintenant je sais d’où.
Le processus de modernisation
Le manque de logement et les conditions sanitaires misérables ont poussé l’Etat suédois à prendre en charge la question du logements dès les années 30. Les appartements étaient vieux, étroits, sans eau courante ni toilettes. L’urbanisme s’est mis au service du social pour construire des quartiers entiers selon le principe de l’époque, le fonctionnalisme : des maisons pouvant accueillir des familles nombreuses au faible revenus et des rues piétonnes. L’exposition de Stockholm en 1930 présente cette nouvelle notion du fonctionnalisme qui comporte un programme social.
C’est aussi à ce moment que les designers suédois attirent l’attention du public sur les nouvelles formes de leurs meubles fonctionnels. La chaise que l’on voit à droite sur la photo, baptisée Eva par son designer Bruno Mathsson est devenu un classique suédois. Le designer aurait trouvé la position assise idéale en s’asseyant sur un tas de neige qui lui inspire la forme de la chaise.
Hemmens forskningsinstitut, Nordiska museet
Dans les années 40, l’ institut de recherche sur le foyer, Hemmets forskningsinstitut s’applique à mesurer l’énergie dépensée par une femme dans une cuisine. Il s’agissait de faire rentrer la science dans le logement pour rationaliser l’agencement du foyer et le travail à la maison. Cela a permis par exemple, de construire des cuisines plus pratiques pour que la femme au foyer se fatigue moins (no comment).
Les années 50 sont marquées par une forte croyance dans l’avenir, les nouveaux matériaux et les nouvelles techniques : l’inox, le plastique et le grille-pain symbolisent la modernité. Les quartiers fonctionnels deviennent des villes de banlieues avec des espaces verts et des centres commerciaux afin de tout avoir à proximité. A partir de 1950, l’Etat suédois construit à peu près 60 000 appartements par an.
Cette politique du logement continue avec le Miljonprogrammet, “le programme du million” qui prévoit de construire un million de logements entre 1965 et 1974.
Un standard qui aplanit les inégalités et… les différences
Ce processus de modernisation a contribué à construire un standard de vie convenable pour tous en Suède. Est-ce typiquement suédois ? Tous les pays occidentaux ont vécu les “Golden Sixties”. Mais l’Etat suédois s’est réellement concentré pour mener une politique sociale élaborée et prévenante.
Un dernier exemple illustre l’Etat protecteur. Entre les années 30 et les années 60, l’Etat prodigue des conseils dans différents domaines comme la santé, le ménage, les bonnes manières, le travail. Il était par exemple vivement conseillé de manger six tranches de pain par jour, l’équivalent finalement de notre “manger cinq fruits et légumes par jour”. Mais c’était carrément une matière enseignée à l’école : Hemkunskap, “le savoir du foyer”. On y apprend quelle est la hauteur idéale de la chaise pour être bien assis à table, à quoi faut-il penser lorsqu’on déménage, comment faire la vaisselle etc.
Livre d'école sur l'hygiène et la santé
Kenneth Granholm travaille comme assistant au département religion de la Stockholms universitet. Lorsque je lui demande à quoi croient les suédois, si ce n’est plus en dieu, il me répond : Folkhemmet, “le foyer du peuple” (le mot hem qui veut dire “chez soi”, “à la maison”, n’existe pas en français et démontre déjà que le lieu de vie privé est une notion très importante en Suède).
Un certain standard d’habitation et de vie en général a fait émerger une certaine norme, une certaine uniformité. On peut relier ce phénomène avec la loi de Jante selon laquelle il est mal vu de se distinguer de la masse. Ce sont des aspects que je trouve encore palpables dans la société suédoise, même si cette uniformité tend à s’effacer de plus en plus avec le métissage culturel.
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